L’Institut national des aveugles du Mali (INAM), fut créé en 1973 sous l’appellation Institut national des jeunes aveugles (IJA). L’actuel Institut national des aveugles du Mali, se veut un modèle dans la formation et l’inclusion des personnes mal ou non-voyantes.
Il est 10 h dans une classe de 9ᵉ année à l’Institut national des aveugles du Mali situé a Faladiè en commune 6 du district de Bamako. Ici, une cinquantaine d’élèves clairvoyants et non ou malvoyants partagent un espace d’apprentissage adapté. Les murs en ciment sont épurés, et la lumière naturelle entre généreusement par les fenêtres. Les élèves malvoyants utilisent des plaques et des livres en braille, un système d’écriture en relief qui permet aux personnes aveugles de lire et d’écrire de manière autonome, tandis que les clairvoyants déposent les mots soigneusement dans leurs cahiers à l’aide de stylos. Différente d’une salle de classe ordinaire, « l’institut utilise le système de tutorat qui favorise une entraide entre camarades. Clairvoyants et malvoyants s’assoient côte à côte, et l’espace d’apprentissage ressemble à un groupe de travail dans une classe ordinaire. Ils forment des groupes de trois tables-bancs qui se font face », explique Chaka Diabaté, directeur-coordinateur de l’Institut national des aveugles du Mali (INAM).
Les enseignants de l’établissement sont au four et au moulin. Karamoko Koné, enseignant de français, se souvient de ses débuts dans cette école spéciale après avoir enseigné dans une classe ordinaire. Une fois formé au braille, il a commencé à enseigner ici. « Nous sommes obligés de redoubler d’efforts pour faciliter la compréhension. Avec les non-voyants, nous devons parfois épeler certains mots, mais leurs camarades les aident aussi dans ce sens. » Oumar Fomba, un élève de monsieur Koné, est assis sur une table-banc avec trois autres camarades. Devant lui, une tablette, des feuilles en braille couleurs jaunes et un poinçon. « Nos camarades dictent pour nous afin que nous puissions aller aussi vite que le professeur. Parfois, ils épellent des mots que nous ne comprenons pas », explique-t-il. À côté de lui, Mame Diarra écrit avec un stylo et parle de son quotidien : « Ici, nous prenons soin de nos camarades. Quand ils font tomber des objets, nous les ramassons pour eux. Nous allons à la récréation ensemble, nous faisons tout ensemble. » Cette affirmation est soutenue par Soumaila Doumbia, qui se souvient d’avoir fait tomber son poinçon un jour : « C’est mon voisin qui l’a retrouvé pour moi. Même à la maison, on s’appelle pour s’aider avec les exercices et discuter. »
« Un modèle facilitant la socialisation »
« À partir du second cycle, les enfants clairvoyants du quartier viennent étudier avec nos non-voyants », explique Hadji Barry, président de l’Union malienne des aveugles (UMAV). Ce modèle, selon lui, facilite « la socialisation ». « On a le même cursus. Notre modèle permet aux camarades clairvoyants d’apprendre à vivre avec une personne handicapée visuelle. » L’école offre aux élèves des consultations au sein de l’unité d’ophtalmologie de l’UMAV ainsi on distingue des cas de malvoyants. « Parmi ces clairvoyants apparemment qui viennent, il y a certains qui passent toute l’année avec les supports visuels qu’ils ont. Ils sont donc malvoyants », précise Hadji Barry.
Mais l’Institut national des aveugles du Mali ne s’arrête pas là. Dans une autre salle, nous rencontrons Fatim Dah Diarra, ancienne élève de l’institut et enseignante d’histoire et de géographie. Elle est assise à une table avec sa canne à côté et ses feuilles en braille contenant la leçon du jour. « Tout se passe bien. Quand je dois dispenser des cours, un élève écrit au tableau, et pour les évaluations, mes collègues m’aident avec les feuilles des clairvoyants », rassure-t-elle. Dans la classe de 7ᵉ année, Mamadou Traoré travaille sur des exercices de mathématiques. Selon lui, le manque de matériel didactique est une grande différence avec une classe ordinaire : « Ici, nous ne pouvons pas faire de géométrie qui nécessite des figures géométriques, irréalisables avec les tablettes, le poinçon et les feuilles en braille de l’école », regrette-t-il.
L’INAM est géré par l’Union malienne des aveugles (UMAV), présidée par Hadji Barry. L’UMAV compte quatre axes d’intervention : « la prévention de la cécité, la scolarisation des enfants aveugles, la réadaptation en milieu urbain et la réadaptation en milieu rural. » À l’Institut national des aveugles du Mali, les élèves sont internes du dimanche soir au vendredi soir. Ils rentrent chez eux le week-end « pour s’adapter à la famille et à d’autres qui ne sont pas forcément non-voyants », estime Barry. L’institut met aussi en avant des activités connexes, notamment le sport, comme le cécifoot ou le goalball. Il y a également l’orchestre de l’école, celui qui a vu grandir Amadou et Mariam, le célèbre couple aveugle du Mali. En 1975, Mariam y suivait sa scolarité quand Amadou, ayant perdu la vue à l’adolescence, y est entré pour apprendre le braille. « En plus des enfants, l’institut s’ouvre à d’autres personnes ayant perdu la vue au cours de leur cursus scolaire ou carrière professionnelle », ajoute le président Hadji Barry. Ces derniers y viennent pour apprendre le braille et s’adapter à leur nouvelle vie.
L’unique bibliothèque en braille au Mali
L’inclusion se fait également dans la bibliothèque de l’école. En 2023, environ 50 ans après sa création, l’Institut national des aveugles du Mali a inauguré sa première bibliothèque en braille. Dénommée « Bibliothèque en braille et inclusive », elle a vu le jour grâce à l’association « Action-jeune », composée d’anciens élèves de l’institut. « Il était temps que l’institut soit doté d’un endroit de documentation », explique Seydou Traoré, porte-parole de l’association qui ajoute : « Nous avons pu réaliser cette bibliothèque grâce à notre participation à l’émission de télé-réalité L’instant Thé, où nous avons bénéficié d’un financement pour acheter certains livres, mais aussi grâce à notre collecte sur les réseaux sociaux et auprès des personnes de bonne volonté. » On y trouve des romans, des livres de lecture, de mathématiques, d’histoire et géographie pour les programmes de la première à la neuvième année. La bibliothèque, qui contient aussi des livres ordinaires, accueille des élèves de l’institut et des handicapés visuels de tout le pays. C’est la seule bibliothèque en braille du Mali, faute d’une politique nationale favorisant la transcription des livres en braille. « Dans les autres bibliothèques, comme les lycées ordinaires ou les universités, les documents ne sont pas adaptés », déplore Hadji Barry.
La perception de la société
Parmi les défis auxquels fait face l’institut, l’acquisition des matériaux didactiques reste un problème, car ils ne se trouvent pas forcément sur le marché malien. De plus, le regard de la société est souvent empreint de méfiance. « Malheureusement, au Mali, les gens n’ont pas une bonne perception du handicap. Les édifices, qu’ils soient scolaires, sanitaires ou autres, ne sont pas adaptés », regrette Barry. Le directeur-coordinateur de l’institut plaide également pour une prise en charge de l’internat par l’État, qui est actuellement géré par l’UMAV. « L’État doit augmenter sa subvention en faveur des écoles spéciales, car ces écoles jouent un grand rôle dans l’épanouissement des enfants », conclut-il. Sur un mur de l’institut, une phrase résume bien le combat de ces élèves : « Oui, je ne vois pas, sache que j’ai les mêmes droits et les mêmes obligations que toi qui me regardes avec méfiance. »
Aly DIABATÉ
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