La ville de Bamako comme le reste du pays est, depuis la première décade du mois béni de Ramadan, rythmé par le «Yogoro» ou «Salawalé walé». Les mômes de même groupe d’âge, filles ou garçons, colonisent les rues, peu après le crépuscule. Les visages peints de craie ou de cendre, les garçons sont armés de bâtonnets. Ils tiennent des boites vides de conserves en guise d’instruments de percussion. Les fillettes tels des portefaix portent des calebasses remplies d’eau sur la tête, des louches traditionnelles en mains. Le tout assorti d’accoutrements clownesques. La pratique traditionnelle qui semble résister au temps consiste pour les enfants à faire l’aumône durant ce mois béni. Elle s’appelle «yogoro» pour les garçons et «salawalé walé» pour les filles. Ils vont de porte à porte en dansant, battant des mains et des instruments. Le but étant d’attirer l’attention des familles hôtes afin d’obtenir en retour de l’argent ou des céréales. La pratique était partie intégrante de la socialisation de lenfant qui apprend en même temps à vaincre ses peurs en sortant la nuit et en se confrontant à ses camarades. Loin des regards protecteurs des parents et des grands frères.
Mais aujourdhui, l’argent tend à prendre le dessus sur la portée sociale et socialisante de la pratique. C’est le cas du groupe d’Aissata. Dès 19h, sa bande se réunit chez elle pour les préparatifs de Salawalé walé. Quelques minutes après, le groupe prend d’assaut la rue pour leur traditionnel porte-à-porte. En chemin, les échanges vont bon train : «Rentrons dans cette famille. On n’y a jamais été. Peut-être quon aura beaucoup dargent là-bas. Regardez comment la maison est belle». Une fois à l’intérieur, après s’être installé, la cheffe d’orchestre donne le coup d’envoi, débute l’animation. Après plus de cinq bonnes minutes de Salawalé walé, le groupe sort bredouille. D’autres groupes les avaient précédés. Cette première expérience infructueuse suscite des commentaires. «La famille est pingre. On ne va plus y revenir», laissent-elles entendre avant de tenter leur chance ailleurs. Nani, la trésorière du groupe, explique que les recettes sont partagées à la fin de chaque soirée, avant de rentrer à la maison.
C’est pratiquement le même cas chez les garçons. La tenue, les chants et les danses étant une différence de taille entre filles et garçons. Chez ceux-ci cette formule est devenue très célèbre et chantée par tous ou presque. «Naw ma wari di Ladji sara», prosaïquement, «si vous ne nous donnez pas de l’argent, Ladji est mort», chantent-ils, en battant de vieilles boites de conserves. Celui qui porte le masque (Ladji) se jette à terre en simulant une personne en agonie. Le groupe de petit Karamogo, constitué de sept garçons, est à sa deuxième année de pratique. Par nuit, le groupe de sept gamins peut parcourir six à sept familles. «On sort rarement bredouille des familles visitées. Avec notre maitrise de la mise en scène, beaucoup de gens nous gratifient avec de l’argent», confie le garçonnet qui peut encaisser 1.000 à 2.000 Fcfa la nuitée. L’argent obtenu à l’occasion du «yogoro» sert à l’organisation de la fête dAid El filtr. Le vieil homme Soumaïla Traoré explique que la pratique du «Yogoro» ou du «Salawalé walé» a beaucoup évolué. Dans le temps, se remémore-t-il, les gens dormaient jusqu’à 4 heures du matin à cause de l’animation dans les quartiers. «On prenait des céréales tels que le mil, le riz, le maïs et bien d’autres. Aujourdhui, la pratique est de plus en plus délaissée par les enfants et dominée par une quête excessive de l’argent», souligne-t-il. D’autres vont jusqu’à faire des insultes grossières si l’on ne leur donne pas de l’argent, déplore le sexagénaire. Et de soutenir que ce facteur peut avoir des conséquences néfastes sur l’éducation de lenfant.
Fadi CISSÉ
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